• " Le temps guérit de tout" , " l'erreur est humaine" , elles sont nombreuses ces phrases toutes faites et passe-partout qu'on prononce sans y penser ..  Ces formules de sagesse populaire recèlent souvent de véritables leçons de philosophie ..

     

    L'ESPOIR FAIT VIVRE

     

    Les cernes sous les yeux profonds comme des canyons, le regard perdu, le coeur qui hésite entre l'arrêt ou la nausée, qu'est ce qui fait que, malgré tout, chaque matin, nous trouvons l'énergie de nous lever, de boire le même café, de tartiner le même Nutella, de réintégrer le même bureau? C'est l'espoir. Celui qui fait vivre - et survivre à l'alarme du réveil.. La vie ne peut être vécue que si nous avons l'espoir qu'il nous reste encore des choses à vivre, que tout n'est pas joué, que du nouveau peut advenir.

     

    Car l'espoir ne fait pas seulement vivre, il est la vie même. Il est la conviction que la vie apporte de la vie, qu'elle est une matière toujours en mouvement.  Être déprimé, c'est, à l'opposé, croire que tout est figé, comme pris dans les glaces, " banquisé".. Le désespoir est ce sentiment de dévitalisation de la vie. Il n'est pas la certitude qu'il n'y a plus d'avenir, mais que l'avenir sera immuablement semblable au présent.

     

    Espérer ne consiste toutefois pas à faire de la vie une fête permanente. La quête  de l'excès peut même être vue comme une forme de désespoir : espérant que la vie ne suffit pas, on est perpétuellement obligé de lui ajouter quelque chose- alcool, sexe, collection de timbres .... pour qu'elle devienne enfin vivable. A l'inverse, l'espoir nous rend notre existence vivable, " vivante".

     

    Contre toute attente, c'est Kant,le philosophe, le moins bon " vivant" qui souligne cette valeur inconditionnelle de la vie " ce ne sont pas les plaisirs ni même le bonheur qu'elle peut apporter qui font que notre existence vaut d'être vécue, elle vaut la peine tout simplement parce qu'elle est la vie.

     

     Quelle valeur la vie possède pour nous ? Si cette valeur est estimée simplement d'après ce dont on jouit, le bonheur, elle tombe au-dessous de zero .. Il ne reste donc en définitive  quela valeur que nous donnons nous mêmes à la vie. Il ne reste donc que l'espoir  qui nous fait accepter, désirer chaque jour de notre vie et tous ceux qui pourront suivre, petits matins blafards comme nuits agitées. L'espoir donne " envie d'avoir envie" dirait un crypto philosophe belge, Johnny Hallyday.

     

     

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  •                                                        JACQUES DERRIDA

     

    Jacques Derrida , né le 15 juillet 1930 à El Biar (Algerie) et mort le 9 octobre 2004 a Paris d'un cancer du Pancréas, est un philosophe français qui a initié puis développé la méthode de la déconstruction. Ce concept a largement débordé de sa discipline d'origine et touche dorénavant à la littérature, la peinture, la psychanylse. Derrida a, en outre, associé son nom à de nombreuses réfléxions sur la philosophie.

     

    D'origine juive, il subit la répression liée aux événements de la fin des années 1930. Il connaît durant sa jeunesse une scolarité mouvementée. Il voit les métropolitains comme oppresseurs et normatifs, normalisateurs et moralisateurs.

     

    Sportif, il participe à de nombreuses compétions sportives et rêve de devenir footballeur professionnel. Mais c'est aussi à cette époque qu'il découvre et lit des  philosophes et écrivains comme J.J.Rousseau, F.Nietzsche, A. Gide, et Albert Camus.

     

    Après trois années de classe préparatoire littéraire, il entre après deux échecs à l'école Normale Supérieure en  1952 où il découvre Kierkegaard et Martin Heidegger. Il y fait la rencontre d'Althusser, puis il est assistant à l'Université américaine d'Harvard.

     

    Il se marie en juin 1957 avec Marguerite Aucouturier, une psychanalyste et effectue par la suite son service militaire. En 1959 il enseigne pour la première fois au Lycée du Mans et est invité à la première décade de Cerisy. En 1964   il obtient le prix Jean Cavailles ( prix d'épistémologie) pour sa traduction, puis il est professeur de philosophie à Normale Sup où il  occupe la fonction de caïman", c'est à dire de directeur d'études. Sa  participation au colloque de Baltimore marque le début de ses fréquents voyages aux USA. En 1967 ses trois premiers livres son publiés.

     

    En 1978 Jacques Derrida  prend l'initiative de lancer les Etats Généraux de la philosophie à la Sorbonne. Il s'implique de plus en plus dans des actions politiques, domaine qu'il avait apparemment écarté de sa vie professionnelle. A partir de 1984 il est directeur d'études à l'école des Hautes Etudes en sciences sociales. Marié à Marguerite Aucouturier, il a en 1984 un enfant de sa relation avec Sylviane Agacinski.

     

    En 1955  il a été membre du comité de soutien à Lionel Jospin, mais a refusé de l'être en 2002 en raison notamment du jugement qu'il portait sur la politique du gouvernement socialiste sur l'immigration.

     

    A partir de 2003 Jacques Errida souffre d'un cancer du pancréas et réduit considérablement ses conférences  et ses déplacements. Il meurt le 9 octobre 2004 dans un hopital parisien à l'âge de 74 ans.

     

    TRAVAUX :

     

    Philosophe français majeur du XXe siècle, Derrida bénéficie d'une reconnaissance des deux côtés de l'Atlantique, qui va bien au delà du monde universitaire. Par exemple, le film de Woody Allen " Déconstructing Harry" ( Harry dans tous ses états) est une référence directe aux travaux de cet auteur " référence" que Derrida jugera d'ailleurs pauvre et décevante au regard  de la complexité  de ce concept. Héros culturel aux USA, il a reçu 21 fois un doctorat " honoris causa" de plusieurs universités. Derrida déclarait avant sa mort au journal " l'Humanité"  je n'ai jamais fait de longs séjours aux Etats Unis, le plus clair de mon temps ne se passe pas la bas, cela dit, la réception de mon travail y a été effectivement plus généreuse, plus attentive, j'y ai rencontré moins de censure, de barrages,de conflits qu'en France " ....Pourtant  Derrida a la réputation d'être un écrivain difficile, exigeant pour son lecteur, même pour des philosophes. Son style est dense,il pratique de nombreux jeux de mots et affectionne les allusions. Sa lecture, souvent déconcertante et nécessitant de nombreuses relectures révèle des ouvertures sur l'avenir de la philosophie.

     

    C 'est un philosophe qui déchaîne les passions. Ses premiers travaux de portée internationale sont vivement critiqués. Dans son essai sur le philosophe anglais John Austin et sa théorie des actes de langage, Derrida est accusé de s'entêter à énoncer d'évidentes contre-vérités. Nombreux sont les philosophes qui se sont élevés contre le prix que lui a décerné l'Université de Cambridge. C'est aux Etats Unis qu'il a beaucoup fréquenté, qu'il connaîtra néanmoins la plus grande audience et que son travail fécondera le plus profondément les champs philosophiques,politique et littéraire.

     

    Si la philosophie ne sait comment se comporter avec Derrida, tour à tour l'acclamant et le reniant , d'autres disciplines ont pu se reconnaître dans la deconstruction et son travail sur l'épistémologie.

     

     

    SES CITATIONS:

     

    Une trace ineffaçable n'est pas une trace.

     

     

    Ce qu'on ne pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l'écrire.

     

     

    Le moi est donné, livré, offert et trahi à la fois. Et cette vérité est affaire d'amour et de police, de jouissance et de loi loi à la fois .

     

     

    Une limite ne se touche pas.

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  • LE BATEAU IVRE.

     

     

     

    Comme je descendais des Fleuves impassibles,
    Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
    Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles,
    Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

    J'étais insoucieux de tous les équipages,
    Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
    Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
    Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

    Dans les clapotements furieux des marées,
    Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
    Je courus ! Et les Péninsules démarrées
    N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

    La tempête a béni mes éveils maritimes.
    Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
    Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
    Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots !

    Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
    L'eau verte pénétra ma coque de sapin
    Et des taches de vins bleus et des vomissures
    Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

    Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
    De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
    Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
    Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

    Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
    Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
    Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
    Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

    Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
    Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
    L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
    Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

    J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
    Illuminant de longs figements violets,
    Pareils à des acteurs de drames très antiques
    Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

    J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
    Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
    La circulation des sèves inouïes,
    Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

    J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
    Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
    Sans songer que les pieds lumineux des Maries
    Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

    J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
    Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
    D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
    Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

    J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
    Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
    Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
    Et des lointains vers les gouffres cataractant !

    Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
    Échouages hideux au fond des golfes bruns
    Où les serpents géants dévorés des punaises
    Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

    J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
    Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
    Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
    Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

    Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
    La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
    Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
    Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

    Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
    Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
    Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
    Des noyés descendaient dormir, à reculons !

    Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
    Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
    Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
    N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

    Libre, fumant, monté de brumes violettes,
    Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
    Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
    Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

    Qui courais, taché de lunules électriques,
    Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
    Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
    Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

    Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
    Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
    Fileur éternel des immobilités bleues,
    Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

    J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
    Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
    Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
    Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

    Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
    Toute lune est atroce et tout soleil amer :
    L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
    O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !

    Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
    Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
    Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
    Un bateau frêle comme un papillon de mai.

    Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
    Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
    Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
    Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

     

    ARTHUR RIMBAUD

     

    phares en mer d'Iroise

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  • "Le temps guérit de tout" , " l'erreur est humaine" , " personne n'est irremplaçable" .. Elles sont nombreuses ces phrases toutes faites et passe-partout qu'on prononce sans y penser. Ces formules de  sagesse populaire recèlent souvent de véritables leçons de philosophie.

     

    Vous croyez farouchement que " quand on veut on peut ? " vous êtes stoicien! le proverbe " l'argent ne fait pas le bonheur " vous fait bondir ? Vous partagez l'opinion d'Aristote pour qui " le bonheur ne saurait se passer de biens extérieurs..." serions nous philosophes sans le savoir ?

     

    METS TOI A MA PLACE

     

     

    J'ai perdu mon travail, un ongle dans la porte, mon mari et mes plus belles années, et je ne demande qu'une chose : qu'on se mette à ma place!  Ce serait un peu comme l'équivalent du très chrétien " aime ton prochain comme toi même"...Je demande à l'autre de se faire tout proche, de prendre le temps de bien comprendre ma position. Mais avouons le, par cette injonction, c'est aussi ma sécurité que j'entends assurer, si l'autre se met à ma place jusqu'à devenir en quelque sorte  celui que je suis,il ne pourra plus me vouloir de mal, ni me juger: d'adversaire, il deviendra solidaire. Plus qu'un proche, il sera désormais un allié.

     

    Le drame est que, précisément, on ne peut jamais occuper la place de l'autre. Les personnes ne sont pas interchangeables. Plus grave encore, se mettre à la place de l'autre reviendrait à l'anéantir, à refuser sa différence et la mienne. Etre calife à la place du calife est un crime de lèse majesté , c'est se prendre pour ce que l'on n'est pas. Vouloir ressembler à la fille du dessus parce qu'elle est blonde, c'est en quelque sorte désirer sa mort pour vivre à sa place.

     

    Et pourtant, c'est bien de cela qu'il est question dans la morale et dans la charité aussi : se mettre à la place de l'autre pour en faire un autre moi même, un prochain, un égal. On ne doit pas seulement s'identifier à lui, et donc ressentir de la sympathie, de la compassion, on doit voir en lui un autre soi même et parvenir à se mettre dans ses pas. Malgré tout, il est impossible d'être celui que je ne suis pas, c'est à dire d'occuper sa place, la seule chose qu'il me reste pour guider mes actes est de ne pas faire à cet autre ce que je ne voudrais pas qu'il me fasse. C'est le seul moyen pour moi de me mettre à sa place tout en me maintenant à la mienne.

     

    Même l'ami le plus sûr, même le meilleur des Samaritains, personne  ne pourra jamais se mettre à ma place. Je suis condamné(e) à y rester comme je suis, condamné (e) à être celui (celle) que je suis .

     

     

     

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